Quand le chassé devient chasseur.
Joie de la vie de tout freelance qui se respecte, le retard de paiement doucement transformé en impayé est un casse-tête dont la solution est pourtant disponible sur Internet. Ici par exemple.
Rappels
Pour commencer, rappelons que par défaut une facture est considérée comme légalement en retard à partir du 30e jour suivant sa date de réception (c’est ce qu’on appelle le délai légal).
Vous avez par ailleurs le droit de convenir d’un délai de règlement plus long pour votre client, mais celui-ci doit être stipulé sur votre devis et votre facture (pas de « ah au fait, on te payera dans deux mois » en fin de mission, ce genre de chose se discute avant), et ne peut dans tous les cas excéder légalement 60 jours ou 45 jours fins de mois.
Lorsque cette période légale ou contractuelle est dépassée, le retard implique des pénalités de retard, qui sont exigibles de plein droit. Là encore il y a un taux minimum légal (fixé par rapport au taux d’emprunt de la BCE), mais vous pouvez en fixer un autre dans vos conditions générales de vente1, ce que nous vous conseillons fortement, car le taux par défaut est passablement ridicule (essayez 10 % ou 15 % par mois de retard, c’est pas mal).
Depuis 2013, la Loi a ajouté à ces pénalités une indemnité forfaitaire de 40 €, due en plus du reste, quel que soit le montant de la créance. Ceci doit également être mentionné dans vos CGV et sur vos factures.
Il est à noter que légalement, vous êtes censé être obligé fiscalement de réclamer ces pénalités. En pratique, ce n’est pas vous qui aurez des problèmes si vous ne le faites pas, mais vous pouvez considérer les pénalités de retard comme un levier de dissuasion supplémentaire dans la gestion de votre retard ou impayé.
Important : pensez à signifier également dans vos CGV que les droits cédés sur vos travaux (cf. l’article sur les droits d’auteur) ne seront considérés comme acquis qu’au règlement complet de votre facture et de ses éventuels avenants.
De cette façon, un « simple » mauvais payeur qui commencerait à exploiter votre travail sans vous avoir réglé deviendrait un contrefacteur, ce qui est un délit pénal et ne plaisante pas du tout. C’est une arme très efficace contre les traînards. De façon générale, dites-vous que la gestion des impayés commence déjà par de bonnes CGV.
Attitude
Lorsque les précautions de base ne suffisent pas et que le retard s’éternise, on parle d’impayé. La première règle d’une gestion d’impayé, c’est d’adopter dès lors l’attitude adaptée (on dirait une rime de rap). Quand il devient clair qu’un client a sciemment l’intention de faire traîner (voire d’endormir complètement) une facture, prenez bien conscience qu’il ne sert à rien de palabrer.
-
Les coups de fil qui durent une heure où l’on va vous expliquer que la trésorerie ce n’est pas ça en ce moment, ou que le chèque est pourtant parti il y a huit jours (probablement en stop alors).
-
Les envois et renvois d’emails dans lesquels on demande « quand est-ce que vous pensez me payer ? » alors qu’on sait déjà que la réponse sera « dès que possible, mais le comptable est en vacances ».
-
Les fax qu’on s’imagine à tort plus officiels (qu’on ne sait pas trop quoi d’ailleurs).
-
Les confrontations sur place qui, à moins d’avoir l’air de Jason Statham, risquent de tourner en votre défaveur et même de vous jouer de mauvais tours.
-
Les tentatives d’apitoyer le client sur le mode « mais j’ai besoin de cet argent, il faut que je paye mon loyer et nourrisse mon teckel ». C’est la pire des choses à faire. Quand vous en arrivez là, c’est perdu, votre crédibilité est morte, vous ne pourrez plus intimider personne.
Toutes ces méthodes de grand-mère ne servent au final qu’à donner des occasions au mauvais payeur de faire son numéro, d’inventer des histoires, d’endormir le paiement jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Attention carotte
Un plan particulièrement apprécié des petits malins, c’est le « de toute évidence le chèque s’est perdu, alors il faudrait nous envoyer une lettre de désistement à ce chèque, et comme ça on t’en envoie un autre ». Bonus de répit : quatre semaines. Le temps de vous dire ensuite que de toute évidence le nouveau chèque s’est encore perdu, incroyable.
Ne signez rien, n’envoyez aucune lettre, passez directement à la suite.
Dans les cas les plus lourds, ces discussions seront pour le client l’occasion de retourner la situation en vous faisant passer pour le méchant harceleur. Ce sera l’heure des « je ne vais pas payer pour un truc qui ne me convient pas », des « vous ne m’avez même pas livré ! » et autres « l’acompte c’est bien suffisant ». Sans oublier le génial « non, mais en fait on en veut plus, on ne va pas s’en servir », etc.
Vous l’aurez compris, tout ça n’amène généralement rien de bon pour vous, et c’est pourquoi il convient de couper court immédiatement à cette mascarade pour vous transformer en machine à récupérer les sous, froide, implacable et sans scrupule. Ce n’est presque pas une image, car c’est réellement dans la peau d’un T-1000 que vous devrez vous mettre pour obtenir gain de cause.
Les règles de l’attitude du freelance impayé sont les suivantes.
-
Être le plus distant possible : à partir de maintenant, plus de contact direct, plus de coups de fil (ne répondez même pas aux leurs). Tout se passera par courrier, éventuellement recommandé.
-
Être le plus professionnel possible : Plus de personnel, plus d’émotionnel, plus d’explication. Vous adopterez un discours cordial mais détaché, sans chaleur. Votre modèle : les courriers qu’on reçoit des impôts (vous voyez exactement de quoi je parle).
-
Rester concentré : vous n’attendez plus rien de votre client que son paiement, le reste est nul et non avenu. De votre côté, vous ne cédez pas aux digressions, apitoiements, menaces, et vos courrier ne parlent que « devis », « chèque », « retard », « pénalités ». Vous ne vous justifiez pas, vous ne laissez aucune prise au client pour qu’il redémarre son cinéma.
-
Faire les choses bien et dans l’ordre : même si vous êtes convaincu d’être dans votre droit, rien n’est joué d’avance et vous pouvez tout faire capoter en vous y prenant n’importe comment : courrier foireux, retrait du produit livré qui annule de fait la commande, menaces qui vous rendent à votre tour punissable, etc. L’important est d’être irréprochable sur votre gestion de cet épisode pour le cas où un juge finirait par devoir s’en mêler. La suite de cet article a précisément pour but de vous guider sur la bonne façon de faire.
Important : l’idée de la procédure qui va suivre, c’est d’être la plus courte possible. On n’est pas là en train de parler de démarches qui vont et doivent forcément finir en procès. En réalité dans la grande majorité des cas, l’impayé se règle entre le premier courrier recommandé et la mise en demeure. Dès lors que la plupart des clients ont compris qu’ils ne gagneront pas en faisant les malins ou l’autruche, ils payent. Voilà pourquoi l’attitude est si importante.
La phase amiable
Par amiable (à ne pas confondre avec « aimable ») on entend toute démarche visant à régler le litige sans faire intervenir la Justice. Comme, on l’a vu, il ne s’agit pas pour autant de discuter ou d’être sympa, on parle simplement ici de toute la partie « courriers ».
-
La relance informelle peut s’envoyer dès le 1er jour de retard, par email (ce sera le dernier).
En voici un modèle que vous devrez évidement adapter à votre cas, l’important étant d’en respecter le ton et la forme (comme expliqué ci-dessus) :Bonjour Madame,
Bonjour Monsieur,Je me permets de vous rappeler que votre compte client présente à ce jour un solde débiteur de X €. En effet la dernière facture no X, en date du XX/XX/XXXX, et payable au XX/XX/XXXX selon les termes de nos accords, n’a pas encore été honorée.
L’échéance étant dépassée, je vous demande de me faire parvenir son règlement sous huitaine.
Étant persuadé qu’il s’agit d’un simple oubli de votre part. Je me permets toutefois de vous indiquer qu’à défaut de paiement malgré cette première relance, je serai amené à vous facturer les intérêts de retard prévus par mes conditions générales de vente [ou le taux légal].
Si ce retard est volontaire, je vous invite à me contacter pour m’en communiquer les motifs.
Dans le cas où votre règlement me parviendrait avant réception de ce courrier, je vous demande de considérer cet email comme nul et non avenu.
Cordialement,
-
Sans retour à ce mail sous huit à dix jours, passez à la relance par courrier recommandé, avec AR2.
Vous y joindrez une copie de la facture impayée, et un RIB. -
Sans retour au précédent courrier sous huit à dix jours, c’est l’heure de la mise en demeure, toujours en RAR.
Vous y joindrez les mêmes documents que précédemment, ainsi que le bon de commande et, si possible, une copie des livrables, objets de la commande en question.
Déjà à ce stade des choses, pas mal de petits margoulins devraient avoir compris que la récré est terminée et choisir de rentrer dans les clous. Si ce n’est pas le cas pour vous, il va falloir passer à la vitesse supérieure, dont tous ces courriers auront justement servi à préparer le terrain.
La voie judiciaire
-
Sans retour à la mise en demeure sous 15 jours3, il est temps d’effectuer une demande d’injonction de payer, en téléchargeant le formulaire CERFA no 12946*01.
-
Remplissez-le en suivant les instructions. Petit conseil : dans la partie « frais accessoires » rajoutez en dessous « Article 700 » d’un montant de 400 € (certains tribunaux de commerce valident sans soucis l’article 700 et vous octroieront 400 € pour les frais que cette démarche aura engendrés, chargés au mauvais payeur évidemment).
-
Fournissez toutes les pièces justificatives en votre possession (devis signé, bon de commande, mails ou courriers attestant du passage de la commande et de sa bonne livraison, la facture, et toutes les relances et mises en demeure faites ainsi que leurs accusés de réception).
-
L’ensemble est à accompagner d’un courrier détaillant toutes vos démarches et leurs dates, à adresser au greffe du tribunal de commerce dont dépend votre client, en précisant que vous demandez que votre adversaire soit condamné à vos dépens.
-
Un chèque d’environ 40 € est également à joindre. (Les tarifs sont disponibles ici.)
-
-
Après un certain délai (variable), vous recevrez une ordonnance du tribunal de commerce vous donnant très certainement raison.
Cette ordonnance est à faire signifier par voie d’huissier dans un délai de six mois. C’est donc à vous de contacter un huissier (dans le département de votre client) et de lui transmettre l’ordonnance, qu’il ira ensuite faire signifier au client.Cet acte devrait vous coûter moins d’une centaine d’euros (ils seront rajoutés à la note du client indélicat). N’hésitez pas à contacter différents huissiers pour comparer leurs tarifs. Dès lors votre client disposera d’un délai d’un mois à compter de la date de signification par l’huissier pour faire opposition à l’ordonnance, ou pas.
Sans attendre (pour gagner du temps), envoyez un courrier au tribunal de commerce, demandant le certificat de non opposition :
Objet : Demande du certificat de non-opposition dans le délai prévu
Madame,
Monsieur,Suite à la signification de l’ordonnance par l’huissier, veuillez trouver les pièces ci-jointes, afin de me retourner le certificat de non opposition dans le délai prévu assorti de la formule exécutoire, afin de faire exécuter l’ordonnance par l’huissier si besoin.
Ci-joints : original de l’ordonnance, original de la demande en injonction, original de la signification de l’acte.
Dans l’attente de votre retour, veuillez accepter, etc.
-
À partir de là, si votre client n’a pas fait opposition dans le délai d’un mois évoqué plus haut, le tribunal de commerce va vous envoyer un ordre exécutoire, qui donne le pouvoir à l’huissier d’aller saisir votre client.
Il faut donc reprendre contact avec l’huissier, qui va alors saisir le compte du client de la somme de votre facture + intérêts calculés + frais accordés par le tribunal de commerce + tous les frais du l’huissier que vous avez avancés, et vous recevrez un joli chèque de la part de l’huissier bien mérité (sachant que si vous avez reçu un acompte, ou avez les coordonnées bancaires du client, ça sera plus rapide).
-
Et si le client a fait opposition (pour telle ou telle raison plus ou moins fantaisiste ou de mauvaise foi) ? Là, ça se complique un peu…
Vous recevrez un courrier du tribunal de commerce expliquant les motifs de l’opposition.
Pour aller s’expliquer devant le juge (représenté ou non par un avocat), il vous faudra envoyer un courrier pour « consignation », accompagné d’un chèque de plus ou moins 100 € :Références : Injonction de payer no X
Société X et société YMadame la présidente,
Monsieur le président,Suite à l’avis d’opposition reçu, vous trouverez ci-joint pour consignation la somme de 100 € adressée à l’ordre du greffe du Tribunal de Commerce.
Dans l’attente de la suite de la procédure, veuillez accepter etc.
-
Vous recevrez ensuite un avis d’audience.
Cette audience de procédure est une simple réunion avec le juge pour lui expliquer le problème et lui montrer toutes les pièces de votre dossier. Là il vaut mieux se blinder. N’hésitez pas à aller chercher des mails ou courriers de clients heureux et expliquant que vous faites bien votre travail.
Celui qui ne se déplace pas à cette audience court le risque de se faire démonter par la partie adverse, qui pourra raconter ce qu’elle veut, sans confrontation avec la version d’en face. Pensez bien à envoyer vos conclusions (vos arguments et les pièces de votre dossier) par accusé de réception à votre client, sous peine de voir l’audience repoussée à une date ultérieure si votre adversaire le demande. Il est lui aussi tenu de vous transmettre ses conclusions avant l’audience. Si ce n’est pas le cas vous pouvez alors demander un report lors de l’audience. Il peut donc y avoir d’autres audiences de procédure si une des deux parties demande un délai.
Une fois les conclusions déposées, le jugement aura alors lieu lors d’une nouvelle audience (mieux vaut être présent là aussi, ou se faire représenter). Et là, c’est gagné !
-
Vous recevrez la décision et un mandement, disant :
« En conséquence, la république française mande et ordonne : à tous huissiers de justice, sur ce requis de mettre la présente décision à exécution… et aux flics de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis. »
C’est à ce moment qu’il faudra recontacter l’huissier, pour lui demander d’exécuter la décision de justice et récupérer tous vos frais (y compris ceux que vous aurez encore à avancer pour ce travail) : facture + pénalités de retard recalculées + frais de justice + frais d’huissier + frais d’avocat + tout le reste…
Enfin, l’huissier vous envoie un chèque du montant total (et là, youpi).
Bon à savoir
-
Le coût de la justice : avant d’entreprendre une action en justice, il convient d’en évaluer le coût. Selon votre cas les démarches peuvent être longues (de plusieurs mois à plusieurs années), et en attendant une éventuelle décision de justice et son éxécution (la récupération des sommes dues), il vous faudra avancer tous les frais. Si la question ne se pose pas pour récupérer des sommes importantes, à vous de voir si cela vaut le coup pour un petit impayé. À savoir qu’en cas de revenus modestes, vous pouvez éventuellement bénéficier de l’aide juridictionnelle.
-
Prendre un avocat ? Même si vous pouvez effectuer la totalité des démarches par vous même, il est vivement recommandé de vous faire assister par un avocat. Celui-ci pourra vous aider à préparer le dossier, vous assister aux audiences, et utiliser sa connaissance de la loi pour accélérer le processus et obtenir un maximum d’argent. Il pourra également tenter de régler une dernière fois le litige à l’amiable, en contactant directement votre client. Un avocat a bien évidemment un coût, sachez cependant que vous pouvez négocier sa rémunération (en fonction du résultat par exemple), et ces frais vous seront normalement remboursés en cas de victoire.
-
Consultations gratuites : divers organismes et institutions permettent de consulter gratuitements des juristes et avocats, comme les maisons de justice et du droit, les tribunaux et les mairies. Votre contrat d’assurance peut également vous proposer une aide juridique.
Ouf !
Ne nous mentons pas, la procédure complète est donc assez longue et pénible, avec notamment la nécessité d’avancer les frais de justice. Mais elle va rarement à son terme, et même dans ce cas, à condition d’être dans votre bon droit, de disposer de toutes les pièces nécessaires, et de rester professionnel dans vos démarches, toutes les chances seront de votre côté. N’oubliez pas que la plupart des mauvais payeurs comptent généralement uniquement sur le fait que les prestataires n’iront pas jusqu’au bout d’une procédure ce de type.
Pour finir, on prendra ici le temps de rappeler quelques dernières petites astuces allant dans ce sens :
-
Sur les devis bien carrés, datés et signés qui vous exigez avant de travailler, pensez à rajouter dans les conditions de vente une mention de type « compétence juridictionnelle : tous les litiges découlant des prestations de services fournies par [vous] seront soumis au tribunal de commerce de [là où vous habitez], ce qui est expressément accepté par le client. » Cela vous évitera de vous déplacer à l’autre bout de la France pour faire les démarches auprès du tribunal de commerce, et obligera le mauvais payeur à venir sur votre terrain pour faire valoir sa version (dissuasion, toujours)…
-
L’acompte que vous demandez en début de mission sert autant à confirmer légalement la commande, qu’à obtenir les coordonnées bancaires du client s’il faut un jour saisir ses comptes.
-
Et bien sûr, des factures bien rédigées avec pénalités de retard et des CGV solides multiplieront vos chances. En voici quelques modèles.
Et bon courage !
-
Mais si vous savez ce que c’est, vous en signez sans vous en rendre compte à chaque fois que vous achetez ou souscrivez un truc. Ce document ultra-important doit accompagner (ou figurer sur) vos devis et vos factures. C’est lui qui détermine les aspects légaux de la transaction. On en trouve des modèles un peu partout, mais vous en avez un exemple adapté à la créa ici. ↩
-
N’oubliez pas qu’un accusé de réception ça se conserve ; c’est le principe. Donc, gardez-le pour pouvoir le ressortir en cas de démarche légale. ↩
-
15 jours c’est le délai légal de réponse à un courrier recommandé. Si le destinataire ne vient jamais retirer le courrier à la Poste, ça reviendra au même. ↩