Attention aux formules magiques.
En tant que créatif professionnel, en marge de vos propres créations vous êtes très souvent amené à intégrer des contenus iconographiques ou textuels fournis par vos clients dans les projets qu’ils vous commandent.
Si vous assurer de l’origine de vos propres créations ne pose a priori pas de gros problème à moins de souffrir de troubles sévères de la personnalité, garantir la provenance du contenu fourni par certains clients peut être plus épineux. Lorsque le doute (voire la certitude) d’une infraction quelconque s’installe, que faire ? Qui est responsable ?
Le droit d’auteur et ses copains
Comme vous le savez déjà tout contenu créatif est protégé par défaut par le droit d’auteur, ce qui veut dire que sa reproduction et son exploitation sont forcément cadrées par la volonté de son auteur ou de ses ayants droits1 : pour exploiter le travail d’un créatif, une autorisation (appelée cession) doit être délivrée et la plupart du temps rémunérée2.
Malheureusement, tout le monde n’a pas votre conscience et il n’est pas rare de croiser des clients prenant des libertés avec ce principe de base.
Je travaille régulièrement avec un client, qui m’envoie systématiquement des « images d’Internet » pour faire ses mises en page. Cette fois en plus, il y a des gens connus dessus.
J’en ai un peu marre de devoir lui faire la morale à chaque fois (c’est vraiment comme ça que je le ressens « c’est pas bien de voler les images ! » ), mais il me semble que quoi qu’il en soit, c’est lui le responsable de ce qui est publié.
Dans tous les cas ai-je besoin de me protéger d’une façon ou d’une autre (en lui demandant de me signer un truc) ?
Cet extrait d’une discussion de forum résume un cas de conscience fréquemment croisé par le créatif freelance, surtout lorsqu’il travaille pour des TPE-PME. Dans certains secteurs professionnels en effet, le droit d’auteur (et parfois, comme c’est le cas ici, le droit à l’image) n’est qu’une très vague notion qui concerne les « artistes », et il est commun de considérer plus ou moins clairement que « tout ce qui est sur Internet est libre de droit ».
Or on le sait, c’est faux. Mais alors que faire ?
Des responsabilités partagées
La première chose à comprendre c’est qu’en participant à l’exploitation non autorisée d’images protégées par le droit d’auteur, vous êtes de fait théoriquement complice d’un délit de contrefaçon, et par conséquent passible de poursuites pénales.
Dans le cas où des personnes sont identifiables sur ces documents, c’est également leur droit à l’image que vous participez à enfreindre, sans parler d’éventuels accords de licence dans le cas de personnalités connues (sportifs, artistes, etc).
En d’autres termes : ce n’est pas parce qu’un contenu vient de votre client que vous êtes hors de cause, loin de là.
Il convient donc bel et bien, en premier lieu, de se protéger.
Prendre ses distances
C’est pourquoi il est d’usage pour tout créatif averti d’inclure dans ses CGV le genre de clause qui établira clairement la responsabilité de ses clients sur les contenus que ceux-ci lui fournissent, comme par exemple :
La société cliente assume la pleine et entière responsabilité des choix réalisés en matière de contenus textuels et iconographiques figurant dans la réalisation livrée par [le freelance], tout comme de l’exploitation qui en sera faite, et notamment de la conformité de cette dernière avec les réglementations en vigueur. Elle assure également être propriétaire des droits nécessaires à l’exploitation de tous les éléments créatifs, notamment textuels et iconographiques, qu’elle fournit [au freelance] dans le cadre de sa mission, et garantit [le freelance] contre toute plainte tierce relative à la violation des droits de ces éléments.
À noter : cette clause, si elle dégage votre responsabilité en cas de violation du droit d’auteur ou de violation du droit à l’image par votre client, présente également l’avantage de vous couvrir contre le non-respect de certaines législations que pourrait entrainer la diffusion de votre travail.
Concrètement, si vous travaillez sur une affiche dans un contexte publicitaire réglementé (tabac, alcool, etc.) il sera de la responsabilité de votre client de veiller à ce que les supports que vous créez sous sa supervision n’enfreindront aucune loi une fois diffusés.
Pas de magie pour autant
Mais attention, c’est là que ça se gâte. En ce qui concerne la contrefaçon, les clauses de responsabilité ne sont pas des formules magiques et, même si elle sont vitales, elles ne vous protègent en cas de problème que si vous êtes de bonne foi, c’est-à-dire s’il apparaît clairement que vous ignoriez que les contenus étaient volés. Ou pour être plus exact, si rien ne tend à prouver que vous étiez au courant d’une infraction.
En l’occurrence dans l’exemple cité plus haut, il serait bien difficile de plaider l’ignorance, considérant que le freelance a eu de nombreux échanges avec son client prouvant qu’il savait très bien ce qu’il faisait puisqu’il essayait même de l’en dissuader… Il est donc pleinement exposé à une plainte d’un éventuel ayant droit, soit directement contre lui, soit plus probablement contre son client, qui ensuite aura tout loisir de se retourner contre lui en arguant qu’il était de son rôle de professionnel de s’assurer que tout était ok. (Oui, c’est de la mauvaise foi, mais cela n’empêche pas de gagner un procès.)
On se permet donc d’être bien clair : un contrat bipartite ne vous mettra jamais à l’abri de la loi. (Ce principe participe de ce qu’on appelle la hiérarchie des normes.) Il ne suffit pas qu’un client vous signe une décharge pour vous déresponsabiliser de tout délit.
Si un voleur de voiture comparaît devant un juge en lui expliquant que oui, il s’est servi dans la rue mais qu’il a un contrat signé avec son client receleur stipulant que ce dernier en prend toute la responsabilité, pas sûr que ça suffise à lui éviter la prison.
Deux choses sont donc importantes à comprendre :
- Oui, vous pouvez et devez intégrer à vos CGV une clause établissant clairement les responsabilités de chacun en terme de droits d’auteur et de législation, pour vous protéger au cas où le client vous fournirait à votre insu des contenus contrefaits ou problématiques.
- Mais clause ou pas, il ne faut jamais accepter d’intégrer des contenus qu’on sait (ou soupçonne fortement) contrefaits. Même si certains clients insistent. Même s’il vous disent qu’ils en prennent la responsabilité.
Ajoutons que si éviter ou refuser de travailler avec des contenus contrefaits est certes important au niveau légal, ça l’est aussi au niveau éthique.
Comme dans bien des domaines (tarification, pratiques commerciales…) chaque créatif en exercice est, à son échelle, un peu responsable du climat et des conditions dans lesquels nous travaillons tous. Si vous appreniez qu’un confrère freelance avait, à la demande d’un client, sciemment récupéré des contenus dont vous êtes l’auteur (visuels, charte graphique, textes, etc.) pour les intégrer dans « ses » créations, vous vous ficheriez pas mal de savoir quelle clause de responsabilité a été signée entre eux, et vous auriez bien raison…
En résumé, quand un client fournit des contenus créatifs :
- S’ils viennent d’une collection interne ou de banques payantes, pas de souci a priori.
- S’ils viennent de banques gratuites, pensez à vérifier la licence (exploitation commerciale, mention des crédits…) sur le site source.
- S’ils viennent de sources non identifiées, et que vous avez des doutes sur leur provenance (image jpeg, watermark, visuel qui vous dit quelque chose, musique connue, etc.) posez la question de leur origine.
- Et s’il apparaît qu’une création est effectivement contrefaite, redirigez gentiment le client vers un fournisseur de contenus légaux. (Il y en a aujourd’hui pour tous les budgets.)
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L’ayant droit est la personne ou l’entreprise à qui l’auteur d’une œuvre a cédé ou transmis la gestion des droits d’exploitation de cette dernière. Cet ayant droit est l’interlocuteur incontournable pour quiconque souhaitera reproduire ou diffuser l’œuvre concernée. ↩
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Pour dissiper toute illusion : le droit d’auteur ne s’applique pas qu’en France, mais à peu près partout dans le monde, y compris aux États-Unis même s’il est là-bas basé sur les règles du copyright. ↩